COVID-19 Mini-série Épisode #4 – Directives médico-éthiques : Quelles règles de triage aux soins intensifs ?
Cette mini-série vise à fournir des lignes directrices et des recommandations durant l’incertitude liée à la propagation du nouveau coronavirus et aux récentes décisions des autorités suisses. Les répercussions sur l’économie, la santé, les familles et les restrictions à la vie privée nous amènent à créer ces épisodes pour apporter des conseils juridiques pratiques pour les organisations privées et publiques.
Nous vivons des jours tristement historiques. C’est un contre la montre auquel sont confrontés les professionnels de la santé pour assurer le traitement, si possible, de tous les malades atteints ou non de troubles respiratoires liés au coronavirus. Lorsque les ressources d’un hôpital font défaut, des mesures de rationnement des soins doivent être mises en place. Certains patients traversent une « mauvaise grippe », mais pour les plus vulnérables des respirateurs sont nécessaires pour espérer se remettre de la maladie. La réalité démontre que cette épidémie n’épargne pas, en particulier les patients avec un facteur de risque. En cas de surcharge des hôpitaux, de manque de matériel, de lits ou de personnel soignant, se pose la question des critères de triage pour l’admission des patients aux soins intensifs si tous ne peuvent être soignés. Quels patients choisir et selon quels critères ? L’Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM) et la Société Suisse de Médecine Intensive (SSMI) ont mis à jour une directive commune intitulée « triage des traitements de soins intensifs en cas de pénurie de ressources». Dans ce 4e épisode de notre mini-série juridique en lien avec le coronavirus, nous traitons de quelques règles juridiques fondamentales et des critères médico-éthiques de triage
Q.1 Existe-t-il une loi sur la priorité des patients admis aux soins intensifs ?
R.1: Le droit suisse repose sur des principes généraux et ne prévoit aucune disposition légale spécifique sur les critères de triage des cas d’admission aux soins intensifs. La jurisprudence précise, au cas par cas, si un acte médical respecte ou viole les règles de l’art médical. En l’absence de loi, les associations professionnelles jouent un rôle décisif et ont émis des directives à l’attention des unités de soins intensifs et des urgences pour des protocoles de triage en cas de goulets d’étranglement.
Q.2 Quelles sont les directives éthiques pour les unités de soins intensifs ?
R.2 : En juin 2013, l’ASSM a émis des directives sur les « Mesures de soins intensifs ». Le chapitre 9.3 traite spécifiquement des critères de triage en cas de ressources limitées pour décider quels patients doivent avoir la priorité. L’ASSM et la SSMI ont mis en ligne une « orientation » pour la mise en œuvre du chapitre 9.3 dans le contexte du Covid-19, laquel précise les critères s’il faut choisir qui soigner.
Q.3 Si les directives de l’ASSM ne sont pas une loi, sont-elles contraignantes ?
R.3: D’un point de vue juridique, les directives de l’ASSM ne sont pas directement contraignantes, car elles ne font pas partie de la législation au sens formel. Toutefois, selon le Tribunal fédéral, « les directives de l’ASSM consacrent le consensus qui prévaut dans le milieu de la médecine scientifique sur la politique de la santé. Elles servent aussi de référence aux tribunaux et aux législateurs (cantonaux ou fédéral) en matière de comportement médical » (ATF 131 V 338, consid. 5.4). Ces directives font partie intégrante de la déontologie médicale ; elles sont notamment intégrées dans le Code de déontologie de la FMH et s’appliquent aux mesures de soins intensifs (art. 18 Code FMH). Par conséquent, même si ces directives n’ont pas force de loi, elles ont rang de normes professionnelles, dont les tribunaux peuvent s’inspirer pour connaître l’état des connaissances des sciences médicales. Dès lors, sauf loi ou jurisprudence contraire, le juge utilisera ces directives pour interpréter une éventuelle violation des règles de l’art médical si la responsabilité médicale d’un médecin devait être mise en cause.
Q.4 Quels critères de triage pour l’admission de patients aux soins intensifs ?
R.4: En cas de rationnement des soins, il faut d’abord rationer les ressources et le matériel avant les soins. Il s’agit ensuite d’appliquer les grands principes médico-éthiques (Autonomie, bienfaisance, non-malfaisance, équité) pour une procédure loyale et sans discrimination. En cas de pénurie de ressources, trois principes s’appliquent : (1) équité ; (2) sauver autant de vies que possible ; (3) protection des professionnels de la santé. En cas de ressources limitées, les directives de l’ASSM prévoient que, lors de l’admission aux soins intensifs, le pronostic à court terme est le facteur décisif pour le triage. Les patients dont le pronostic de sortie de l’hôpital est favorable avec une thérapie de soins intensifs, mais défavorable sans soins intensifs, ont la priorité absolue. L’âge n’est pas en soi un critère à prendre en compte. Le tirage au sort ou le critère du « premier arrivé, premier servi » ne s’appliquent pas non plus. De plus, il est nécessaire de clarifier en amont avec tous les patients qui en ont la capacité, leur volonté en cas de complications. Si l’on renonce aux mesures de soins intensifs, des soins palliatifs complets doivent être garantis. Enfin, les ressources limitées ne doivent pas être utilisées sur un patient qui ne le veut pas (Directives ASSM – 24 mars 2020, p. 3).
Lire aussi : triage aux soins intensifs pédiatriques.
Q.5 Qu’en est-il des directives médico-éthiques dans d’autres pays ?
R.5: En Italie, la Società Italiana di Anestesia Analgesia Rianimazione e Terapia Intensiva a émis (Italien) des recommandations (ITA/EN) préconisant la priorité aux patients avec la plus grande chance de succès thérapeutique, soit ceux dont l’espérance de vie est la plus grande. En Belgique, la société belge de soins intensifs n’a pas émis de directive nationale, mais suggéré aux hôpitaux d’émettre leurs propres directives. Elle recommande l’admission ou le refus des cas aux soins intensifs après discussion entre 2 et 3 médecins expérimentés dans les détresses respiratoires. En Allemagne, 7 associations de médecins recommandent la priorité aux patients ayant les meilleurs chances de survie aux soins intensifs. En France, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) a publié sa contribution sur les enjeux éthiques face à une pandémie. Enfin, le Hastings Center a créé un HUB avec des ressources bibliographiques et recommandations de diverses organisations.
Q.6 Y a-t-il d’autres règles applicables pour les cas admis aux soins intensifs ?
R.6 : Tous les principes de droit médical s’appliquent, même en cas d’urgence. Ainsi, il s’agira pour le médecin de se conformer à son obligation de diligence, respectivement de respecter les droits du patient. Si une personne inconsciente se présente aux urgences et se trouve en incapacité de consentir, le médecin administrera les soins médicaux conformément à la volonté présumée et aux intérêts de la personne incapable de discernement. La question de l’auto-détermination en matière médicale devient délicate si le patient n’est pas conscient. Il doit agir dans l’intérêt de celui-ci et respecter son choix thérapeuthique (choix libre et éclairé). Le médecin devra alors décider d’agir en présumant du choix du patient. Il pourra le faire selon le degré de gravité et le degré d’urgence qui s’impose (art. 379 du Code civil suisse ‘CC’). Toute directive anticipée doit aussi être respectée. Le médecin agira selon les règles de l’art médical et selon toute la diligence requise par les circonstances.